La chaîne varisque d'Europe

Daniel Raymond

Daniel Raymond est géologue, ancien maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) et spécialiste de géologie structurale. Dans cette conférence, il présente un état des connaissances sur la chaîne varisque, souvent appelée en France chaîne hercynienne : qu'en reste-t-il aujourd'hui et quelle est son orogenèse ?


Les reliques actuelles de la chaîne varisque en Europe

Introduction

La chaîne varisque est un vaste massif qui a pris naissance dans la seconde moitié du Paléozoïque, entre la fin du Silurien (~ 415 Ma) et le Carbonifère inférieur (~ 340 Ma). Elle s'étendait sur plusieurs milliers de kilomètres, traversait une bonne partie de l'Europe actuelle et devait atteindre les altitudes de l'Himalaya.

Cette grande chaîne a d'abord été identifiée par Eduard Suess, un géologue autrichien de la fin du XIXème siècle. Le terme varisque qu'il a introduit a été emprunté aux Varasques, les habitants de l'actuel Vogtland (en Allemagne, à la frontière de la République tchèque). Parallèlement, un géologue français, Marcel Bertrand a utilisé le terme hercynien (latin hercynia silva = forêt hercynienne) pour désigner la même formation. L'appellation officielle et internationale est "varisque", terminologie que nous devons utiliser... même si nous avons appris à l'école que les Vosges et le Massif central sont des massifs "hercyniens".

Une grande partie de la chaîne a été érodée et a disparu ; une autre partie constitue le socle de bassins sédimentaires (comme le Bassin parisien) et est pratiquement inaccessible à l'observation. Les affleurements actuels sont des reliques discontinues, plus ou moins importantes qui ont subi le plus souvent un grand nombre d'événements géologiques (mouvements des plaques tectoniques, décrochements, charriage, orogenèses alpine et pyrénéenne).

Rechercher une théorie de l'orogenèse de la chaîne varisque revient à reconstituer un puzzle dont les pièces ont été perdues ou modifiées ! Mais plusieurs éléments ont fait progresser nos connaissances depuis les années 1970 : les sondages sismiques ECORS, les cartes gravimétriques, la comparaison avec les chaînes récentes comme l'Himalaya, et surtout, les datations isotopiques des roches. Ces observations permettent d'établir aujourd'hui des hypothèses sérieuses sur l'orogenèse de la chaîne.


Coupe Nord-Sud au niveau du Massif armoricain

Description de la chaîne varisque d'Europe

Pour simplifier l'exposé, Daniel Raymond se limite à l'arc principal de la chaîne situé en Europe continentale et il décrit essentiellement la partie française. Il met donc de côté certains massifs qui sont cependant rattachés à la chaîne comme les Mauritanides au Maroc, les Appalaches en Amérique du Nord et certaines îles comme la Corse et la Sardaigne.

Cet arc principal s'étend sur environ 5 000 kilomètres de long, du Caucase au Portugal en passant par la Bohème, les Ardennes, le Massif armoricain et le Massif central, la Cornouaille, la Galice espagnole. On peut immédiatement noter que la courbure de l'arc était beaucoup moins prononcée à l'ère Paléozoïque qu'elle ne le paraît aujourd'hui car le bloc espagnol s'est déplacé du NO vers le SE au Crétacé.

On a l'habitude de décrire la chaîne en trois zones : les blocs intermédiaires constituant l'axe central, la branche Nord et la branche Sud.

1) Les blocs intermédiaires

En allant de l'Est vers l'Ouest, les blocs intermédiaires regroupent la Bohème centrale, le domaine centre armoricain et le domaine centre ibérique. Ces unités, peu affectées par la tectonique varisque ont une stratigraphie et une structure comparables. Pour le centre armoricain, le bloc est délimité par deux grands accidents : au Nord, la suture du Conquet ; au Sud, la Zone broyée sud-armoricaine et la faille de Nort-sur-Erdre. Cette zone incorpore des noyaux d'âge précambrien comme le bloc cadomien. En France, un autre affleurement de type bloc intermédiaire se situerait à l'extrémité Nord du massif vosgien.

2) La branche Nord

Elle est constituée de quatre séries, décrites ci-dessous de l'avant-pays (au Nord) vers le Sud :

3) La branche Sud

Cette branche est très bien représentée en France : Sud de la Bretagne, Vendée, Massif central et Montagne noire, Sud des Vosges, Maures, Corse, Pyrénées et Alpes. La description ci-dessous est focalisée sur le Massif central où l'on trouve pratiquement la totalité des unités :

La comparaison de ces structures avec la géologie du massif himalayen a permis d'établir l'hypothèse suivante (effet "fer à repasser") : l'unité parautochtone et l'unité inférieure des gneiss seraient deux gigantesques écailles tectoniques traînées sous l'unité supérieure des gneiss constituée de croûte continentale profonde chaude ; d'où les phénomènes d'inversion de métamorphisme, de déshydratation des unités inférieures et de fusion au sein de l'unité supérieure.

Les grande étapes de l'édification de la chaîne varisque

Il est maintenant établi que la chaîne varisque est une chaîne de collision, ou plus exactement de deux collisions successives. Si on décrit schématiquement une coupe Nord-Sud de la région qui nous concerne au début du Primaire, on identifie trois continents séparés par deux océans :

L'édification de la chaîne varisque résulte de deux collisions : 1) Armorica avec Gondwana, 2) ensemble Armorica et Gondwana avec Laurussia. Nous donnons ci-dessous une description un peu plus détaillée de l'orogenèse de la chaîne.

Etape 1 : subduction de l'Océan Galice/Massif central et collision Armorica/Gondwana (415 à 390 Ma)

La subduction de l'Océan Galice-Massif central, à la fin du Silurien, a entraîné la disparition de l'Océan. Les traces sont les suivantes :

La collision continentale qui a suivi la subduction à édifié une chaîne éo-varisque constituée par la soudure de l'Armorica et du Gonwana, certainement importante mais dont les structures ont été effacées par les événements postérieurs.

Etape 2 : exhumation des roches HP et migmatisation précoce d'âge dévonien moyen (385 à 375 Ma)

Les éclogites présentes à la base de l'USG ont subi une évolution rétrograde indiquant une décompression isotherme typique d'une exhumation syn- à tardi-orogénique. Ce phénomène est accompagné d'une fusion partielle au sein de l'USG et de l'UIG avec mise en place de granites d'anatexie.

Etape 3 : disparition de l'océan Rhéique par subduction du Nord vers le Sud (Dévonien supérieur)

L'océan disparaît par subduction du Nord vers le Sud. Les traces de cette subduction sont les suivantes ;

Etape 4 : fermeture de l'océan Rhéique et collusion Laurussia et Armorica-Gondwana (Carbonifère inférieur)

Les témoins de la collision sont les grandes nappes à vergence sud de la branche Sud de la chaîne, et les grandes nappes à vergence nord dans la branche Nord (nappe du Lizard, front varisque). Il en résulte que la branche Sud, déjà structurée par la chaîne éo-varisque, est polycyclique, contrairement à la branche Nord, monocyclique.

Le résultat final est la création d'un super-continent la Pangée, avec à l'Est un reste de l'océan Rhéique, appelé Paléotéthys.

Conclusion

L'orogenèse proposée dans cet exposé est évidemment hypothétique ; elle sera sans aucun doute améliorée dans les années à venir. S'il est difficile de rendre compte des détails, il est simple de retenir l'idée de base : une double collision entre continents, d'abord au Sud entre Gondwana et Armorica, puis au Nord, entre Laurussia et Gondwana-Armorica.

La France est un des pays où la chaîne varisque est la mieux représentée, ce qui explique sans doute l'apport des géologues français dans son étude ; on peut en particulier citer Maurice Mattauer et Philippe Matte. Actuellement, Michel Faure, professeur à l'Université d'Orléans est le spécialiste français sur le sujet. Les cartes présentées lors de l'exposé sont extraites d'un document dont il est l'auteur.

Dans cette conférence, Daniel Raymond nous a fait mieux connaître cette chaîne ancienne qui occupe une grande partie de notre territoire. Il nous a également donné une idée des méthodes utilisées par les géologues lorsqu'ils établissent leurs théories sur l'histoire de la Terre. Nous le remercions très amicalement.

Vous trouverez de nombreuses cartes et schémas sur le sujet dans le document suivant que vous pouvez télécharger : La chaîne varisque en France de Michel Faure.